Israël risque de mener un long combat au Liban
L'invasion de 1982, qui s'était transformée en une longue occupation, était, elle aussi, présentée à l'origine comme une mission visant à repousser des militants.
TEL-AVIV — Israël présente l’incursion transfrontalière de mardi dans le sud du Liban comme une mission rapide d’entrée/sortie contre un Hezbollah déjà décapité. Mais il y a des risques qu’elle s’enlise en une invasion prolongée et plus ardue — comme cela s’est déjà produit par le passé.
L’attaque d’Israël au sud du Liban en 1982 — qui visait également à l’origine à repousser les attaques de militants — s’est transformée en une occupation de dix-huit ans.
Cette fois, le calcul d’Israël est que les miliciens chiites soutenus par l’Iran de l’autre côté de la frontière sont tellement épuisés et démoralisés par l’assassinat de leur chef Hassan Nasrallah (et de toute sa structure de commandement) que leurs forces seront désorganisées.
Il n’est cependant pas question pour le Hezbollah de se laisser faire sans combattre, dans des batailles qui se déroulent sur un terrain sinueux fait de collines, de ravins et de gorges, sans parler des réseaux de tunnels. Le porte-parole de l’armée israélienne, Avichay Adraee, a déclaré mardi qu’il y avait déjà de violents combats dans le sud du Liban et que le Hezbollah utilisait les habitants “comme boucliers humains pour lancer des attaques”.
Le Hezbollah a démenti la tenue d’affrontements directs au sol entre les “combattants de la résistance et les forces d’occupation”, selon un communiqué publié sur la chaîne Telegram du groupe. Il a néanmoins averti que ses combattants étaient “prêts à une confrontation directe avec les forces ennemies” et a souligné que le tir de roquettes visant, affirme-t-il, les bases du Mossad et du renseignement militaire à Tel-Aviv, n’était “que le début”.
Pour illustrer l’ampleur du défi à relever, les Forces de défense israéliennes (FDI) ont cité des sources de renseignements selon lesquelles une maison sur deux ou trois dans le sud du Liban est utilisée pour cacher des “moyens terroristes” tels que des lance-roquettes et même des missiles de croisière destinés à attaquer Israël. Les débusquer ne sera pas chose aisée.
Le risque existe également que les rangs du Hezbollah soient renforcés par des miliciens chiites chevronnés — dont certains sont irakiens — basés dans la Syrie voisine.
Même s’il a un passé tragique, le Liban est aujourd’hui confronté à “l’une des périodes les plus dangereuses” de son histoire, selon le Premier ministre Najib Mikati.
L’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert, fervent critique de Netanyahou, a averti : “On sait comment les invasions commencent. Je ne suis pas certain qu’on sache comment cela va évoluer et comment cela peut se terminer. La dernière expérience que nous avons d’une opération terrestre au Liban a duré dix-huit ans. Ce fut un échec total, je veux dire un échec stratégique. Je ne comprends pas quelle est précisément la stratégie actuelle.”
“Je pense que Bibi [le Premier ministre Benyamin Netanyahu] s’emballe, qu’il est dépassé par les événements et qu’il en perd la mesure”, a-t-il ajouté dans une interview accordée à POLITICO.
Retour à la Ligne bleue
Pour l’instant, les dirigeants israéliens se sont simplement alignés et soutiennent l’offensive. Les chefs des partis d’opposition, qui doutent du bien-fondé d’une offensive terrestre, peuvent se prévaloir de la fête du Nouvel An juif, Rosh Hachana, pour refuser des interviews et ne pas s’exprimer.
L’ancien Premier ministre Naftali Bennett a, quant à lui, donné sa bénédiction sur les réseaux sociaux : “Au cours de l’année écoulée, les terroristes du Hezbollah ont assassiné des dizaines d’Israéliens, dont 12 enfants, sur un terrain de football, ont tiré des milliers de roquettes sur nous, ont frappé nos villages de Metoula, Shlomi et les kibboutz, et nous ont forcés à évacuer le nord du pays.”
C’est la principale justification israélienne de cette mission : dire que le Hezbollah a tiré plus de 9 000 roquettes depuis le sud du Liban depuis octobre dernier.
L’objectif déclaré est de contraindre les forces du Hezbollah à retourner du côté nord de la Ligne bleue, le fleuve Litani, à environ 29 kilomètres au nord de la frontière, conformément à la résolution des Nations unies mettant fin à la guerre de 2006 au Liban. En cas de succès, cela permettrait grandement de rassurer les quelque 80 000 Israéliens, évacués du nord d’Israël en raison des tirs de barrage du Hezbollah, sur le fait de pouvoir rentrer chez eux.
“Trop c’est trop”, a ajouté M. Bennett. “Chaque soldat des FDI qui franchit la frontière libanaise sait qu’il le fait pour protéger les citoyens d’Israël.”
Olmert, le critique de Netanyahu, a exposé à POLITICO que personne ne devrait douter que les forces israéliennes seront en mesure d’avancer jusqu’au Litani, mais il a souligné que “cela pourrait nous coûter beaucoup en matière de vies humaines”.
Et une fois que ce sera fait, “qu’est-ce qui les empêchera de revenir à la frontière ? Allons-nous rester là pour toujours afin de protéger le sud d’Israël ? Vont-ils envisager de construire des colonies dans le sud du Liban entretemps ? Que veulent-ils faire exactement ?”
Les ministres de la coalition gouvernementale de Netanyahou, habituellement en proie à des dissensions, ont proclamé haut et fort leur soutien à l’incursion. Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, chef du parti d’extrême droite Force juive, a déclaré mardi : “C’est le moment, non pas d’arrêter, mais de continuer à tout faire avec toute la force nécessaire et d’écraser le Hezbollah afin que les civils du nord puissent rentrer chez eux en toute sécurité.”
Paul Salem, observateur de longue date du Liban et ancien président du Middle East Institute, estime qu’Israël avait des raisons de penser que le Hezbollah était sur la défensive.
“Le Hezbollah est en état de choc. Ils n’en croient pas leurs yeux. Ils sont en plein désarroi. Certains d’entre eux reprochent à l’Iran de ne pas les aider suffisamment”, analyse-t-il.
“Leurs options sont très limitées. Je pense qu’ils vont devoir se concentrer sur leur propre survie. Ils n’ont pas encore choisi de successeur à Nasrallah. Ils doivent nommer de nouveaux dirigeants, qui seront pris pour cible par les Israéliens dès leur nomination. Ils ont des semaines, voire des mois, pour essayer de survivre”, a-t-il poursuivi, parlant avec POLITICO depuis Beyrouth.
Une histoire amère
Mais l’histoire des interventions israéliennes au Liban comporte également de nombreuses mises en garde.
L’invasion de 1982, qui a déclenché la deuxième phase de la Guerre du Liban, a été ordonnée par le Premier ministre israélien de l’époque, Menahem Begin. Supervisée par le ministre de la Défense Ariel Sharon, un ancien général, l’incursion avait initialement pour objectif d’arrêter les attaques palestiniennes depuis le Liban et de repousser l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) au nord du fleuve Litani.
Mais cela a fait boule de neige et est devenu une opération plus vaste visant à installer un gouvernement chrétien maronite pro-israélien et les forces israéliennes sont restées dans le sud du Liban pendant dix-huit ans.
“Rappelons que l’incursion d’Israël en 1982 a également été présentée comme une incursion limitée et localisée”, note le commentateur libanais Michael Young. “Mais comme Sharon l’avait compris, il y aura toujours quelqu’un qui vous tirera dessus depuis la colline voisine, la légitime défense impose donc de prendre cette colline … jusqu’à ce qu’ils atteignent Beyrouth”, a-t-il ajouté dans un post sur X.
Young soupçonne qu’Israël ne se contentera pas de faire partir le Hezbollah du sud du Litani. “Ils exigeront davantage”, a-t-il prévenu.
Certains signes indiquent également que l’idée derrière cette incursion, dont le nom de code est “opération Flèches du nord”, laisse entrevoir des ambitions bien plus grandes.
Le discours euphémisant de Tsahal sur les “raids terrestres limités, localisés et ciblés” ne correspond pas à la rhétorique beaucoup plus grandiloquente utilisée par Netanyahou ces derniers jours. Il a souligné que son objectif ultime était de saper le pouvoir religieux de Téhéran et de mettre hors d’état de nuire les Iraniens qui financent le Hamas, le Hezbollah et les rebelles houthis du Yémen. En bref, il s’agit d’une occasion décisive et unique de remodeler le paysage politique de la région.
Si son véritable objectif avec l’opération Flèches du nord est une refonte aussi ambitieuse du Moyen-Orient, le risque est plus grand de voir l’opération se transformer en un remake de 1982.
La stratégie “escalade pour désescalade” risque d’être supplantée par de plus grandes ambitions israéliennes et la résistance du Hezbollah, craint le général américain à la retraite Joseph Votel, dans un commentaire transmis aux médias.
Votel redoute que le Hezbollah poursuive une stratégie d’usure “afin d’entraîner Israël dans un conflit prolongé qui saperait son gouvernement, son économie et sa position dans le monde — gagnant du temps pour se remettre de ses récents revers et se créant peut-être l’occasion de porter un coup stratégique”.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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