Budget : la potion à 13 milliards (minimum) que devront boire les entreprises
Les budgets de l’Etat et de la Sécurité sociale actent une hausse marquée des impôts, ainsi qu’une baisse de plusieurs aides, dont celles sur l’apprentissage.
PARIS — Le projet de loi de finances (PLF) et celui du financement de la Sécurité sociale (PLFSS) désormais présentés, les entreprises connaissent maintenant les ingrédients de la potion qu’elles vont devoir avaler.
Concoctée par le gouvernement Barnier, celle-ci aura, comme attendu, un goût amer. Sur le seul PLF, les nouveaux impôts sur les entreprises permettront de dégager 13,6 milliards d’euros — hors baisse des exonérations de cotisations.
“Ces hausses d’impôts ne doivent pas pénaliser notre développement ni s’inscrire dans le temps”, a tenté de rassurer Antoine Armand, assurant que le gouvernement conserverait sa doctrine de maintien de la politique de l’offre.
Selon le ministre de l’Economie, ce recours à la fiscalité, à rebours de la ligne tracée par Emmanuel Macron et ses ministres depuis sept ans, est “nécessaire à court terme pour rétablir nos comptes publics” et “rester crédibles vis-à-vis de nos partenaires européens”.
Le plus gros de l’effort sur les plus grandes entreprises
C’est la principale mesure de ce budget : la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises. Inscrite à l’article 11, elle s’appliquera sur les entreprises réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
La contribution touchera 440 grands groupes et s’appliquera pendant deux ans. Elle est censée générer 8 milliards d’euros de recettes en 2025, puis 4 milliards en 2026.
Jusque-là floues, suscitant de nombreux fantasmes, ses modalités ont été précisées jeudi par Bercy. Deux niveaux d’imposition sont en effet prévus : les entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 1 et 3 milliards verront leur taux d’impôt sur les sociétés monter à 30% en 2025 puis il retombera à 28% en 2026 ; pour celles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 3 milliards, le taux grimpera à 36% avant de passer à 30%.
Une taxe sur mesure pour les transporteurs maritimes
Rodolphe Saadé, patron de l’armateur CMA-CGM, s’était récemment montré ouvert à une contribution exceptionnelle. Il a été entendu, puisque l’article 12 instaure une taxe temporaire sur les grandes entreprises de transport maritime.
La taxe sera calculée sur la part du résultat d’exploitation correspondant aux opérations de fret maritime, à un taux de 9% en 2025, puis à un taux de 5,5% pour 2026.
Le gain attendu est de 500 millions pour le trésor public l’année prochaine, puis 300 millions la suivante.
Les rachats d’actions bien ponctionnés
Comme attendu, le prélèvement préparé par le gouvernement Attal sur les rachats d’actions a été validé par Michel Barnier. Inscrite à l’article 26, la “taxe sur les réductions de capital consécutives au rachat de leurs propres titres” par les grandes entreprises aura un rendement d’environ 200 millions d’euros.
Une fois de plus, ce dispositif s’appliquera aux sociétés dont le chiffre d’affaires dépassera le milliard d’euros. En revanche, il ne sera pas temporaire.
Afin d’éviter que les entreprises anticipent et cessent de procéder à cette pratique de plus en plus fréquente ces dernières années (30,1 milliards d’euros déboursés par les groupes du CAC 40 en 2023, contre 23,7 milliards en 2022), la taxe s’appliquera à toutes les opérations effectuées à partir du jeudi 10 octobre.
La baisse de la CVAE une nouvelle fois reportée
Les industriels ne nourrissaient pas de faux espoirs. Bien leur a prit. Déjà raboté, un impôt de production — la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) — devait être réduit de 1,1 milliard d’euros supplémentaires en 2025. L’abandon de cette mesure a été officiellement confirmé.
“Cette baisse reprendra dans trois ans et nous l’inscrivons dans la loi” à l’article 15, a tenté de rassurer Antoine Armand au sujet de cet impôt qu’il juge pénalisant pour l’industrie.
Pour être précis, déjà reportée, la réduction des taux prévue de 2025 à 2027 est reportée de trois ans, soit de 2028 à 2030, date à laquelle la CVAE serait définitivement supprimée.
La disparition de cet impôt local devait initialement intervenir, d’un bloc, en 2023, avait promis Emmanuel Macron lors de la dernière campagne présidentielle.
Les exonérations de cotisations patronales revues à la baisse
La coupe de 5 milliards d’euros dans les allègements de cotisations patronales suffira-t-elle à “désmicardiser” la France ?
C’est l’intention affichée par le gouvernement, qui s’appuie sur “l’esprit du rapport Bozio-Wasmer” sur les politiques d’exonérations de cotisations sociales, remis début octobre à Michel Barnier. L’idée est de “lever les désincitations [pour les employeurs] à augmenter les salaires les plus faibles”, lit-on dans le PLFSS.
“Ces exonérations ont créé des trappes à bas salaires”, a estimé la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet. Différence notable avec les préconisations du duo d’économistes : comme déjà expliqué aux partenaires sociaux, ces exonérations diminueront au niveau du Smic de 2 points en 2025, puis de 2 points en 2026. A l’inverse, elles seront renforcées entre 1,3 et 1,8 Smic.
Coup de rabot sur l’apprentissage, les modalités à définir
Acquis du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le développement de l’apprentissage passera également par le tamis des économies. “Le recours à l’apprentissage est déjà bien ancré dans les entreprises depuis le Covid et nous restons sur des niveaux de financement très hauts”, a souligné Astrid Panosyan-Bouvet.
Si la coupe a déjà été actée à 1,2 milliard d’euros (sur un budget total de 14 milliards d’euros), le gros de la réforme passera par voie réglementaire, encore en cours d’arbitrage. Seules mesures connues à ce jour qui figurent dans le PLFSS : le seuil d’exonération des cotisations sociales passera de 79% à 50% du Smic et les rémunérations des apprentis au-delà de 50% du Smic seront assujetties à la CSG et à la CRDS.
Les coupes pourraient aussi bien porter sur le montant de la généreuse aide versée à l’employeur par embauche d’apprenti, que sur la modulation de cette même aide versée en fonction du niveau de diplôme visé ou de la taille de l’entreprise. Autre sujet dans le viseur du ministère du Travail : “le financement de la qualité de la formation des apprentis”, qui compose plus de 70% du soutien public à l’apprentissage.
Une nouvelle salve de taxes par amendements à surveiller
Particularité cette année, et signe que la copie du gouvernement a été bouclée à la hâte, plusieurs mesures devraient être introduites par amendements gouvernementaux lors du début de l’examen du texte à l’Assemblée, dès le 16 octobre en commission des Finances.
A commencer par un alourdissement de la taxe sur les billets d’avion. La hausse de ce dispositif, appelé “taxe Chirac”, concerne également les jets privés. Actuellement en cours de concertation avec le secteur d’après le ministre du Budget Laurent Saint-Martin, les détails de ne sont pas encore connus, mais Bercy cible un milliard d’économies.
Des mesures ciblant les “énergies fossiles”, et devant rapporter 500 millions d’euros, seront également ajoutées par amendements.
Le crédit d’impôt recherche et le Pacte Dutreil, sauvés, jusqu’à quand ?
Contrairement aux dispositifs précédents, deux décisions soulageront quelque peu les chefs d’entreprise.
Les grandes, tout d’abord, se réjouiront d’apprendre que le crédit d’impôt recherche (CIR) est préservé. Coûtant plus de 7 milliards à l’Etat, cette niche fiscale est fréquemment contestée.
Son toilettage était pourtant recommandé dans un récent rapport de l’inspection générale des finances. En supprimant notamment le dispositif des jeunes docteurs et en resserrant la liste des activités éligibles, 450 millions d’euros pourraient être dégagés, avait analysé le service de Bercy.
Gare à ne pas crier victoire trop tôt pour les patrons, l’optimisation du CIR sera inévitablement débattue au Parlement.
Quant aux TPE-PME et leurs propriétaires, ils pousseront un ouf de soulagement en constatant que le Pacte Dutreil — qui permet d’exonérer partiellement les transmissions d’entreprises familiales — n’est pas remis en cause.
Casinotiers, turfistes et opérateurs de paris épargnés, pour l’instant
Le secteur des jeux d’argent et de hasard peut s’estimer chanceux. La hausse de leurs taxes ne figure pas dans le texte initial du PLFSS. Pourtant validée par le Conseil d’Etat, la mesure concoctée par la direction de la Sécurité sociale (DSS) devait permettre de rapporter 467 millions d’euros à la Sécu.
Mais le secteur, qui s’est fortement mobilisé ces derniers jours pour s’opposer à cette hausse sévère de sa fiscalité, reste sur ses gardes, puisque la proposition devrait ressurgir lors du débat au Parlement.
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